Décembre 1851 à St-Lager-Bressac

Le 2 décembre 1851, à Paris, au petit matin, le Président de la République Louis-Napoléon Bonaparte, anticipant l’échéance électorale présidentielle de 1852, passait à l’action et, par un coup d’Etat, révisait à sa façon la constitution de 1848. En quoi cet acte anticonstitutionnel intéressa-t-il la commune de St-Lager-Bressac ?

En Ardèche l’annonce du coup d’Etat est officiellement connue le mercredi 3 décembre et ne suscite apparemment pas de réaction. Pourtant dans la matinée du 4 décembre une fièvre semble s’emparer des campagnes. Des hommes se mobilisent, préviennent les voisins, parcourent les villages des alentours et font savoir “que les ordres sont arrivés” et “qu’il faut partir”.
Partir, mais pour quelles raisons ?

Écoutons Daniel Merlin, de St-Lager-Bressac : Aujourd’hui nous sommes tous frères, il faut tous partir et la préfecture doit être prise ce soir à 10 heures 30. Nous allons nommer un président de la République et toutes les élections aux places seront faites par le petit peuple”.

Frédéric Argaud est allé à Privas dans l’après-midi du 4 décembre. A son retour, il s’arrête dans le cabaret de Claude Avon à Chomérac et lui annonce qu’il n’y avait point de gouvernement, ni maire, ni adjoint, que nous étions en révolution et que tout Français devait prendre les armes pour défendre la République”. Ainsi, il fallait donc défendre la République contre un chef de l’État parjure à son serment pris lors de son entrée en fonction 3 ans plus tôt en décembre 1848 (1). Le président de la République avait juré fidélité à la constitution républicaine, le peuple des campagnes devait donc rétablir le bon ordre comme l’autorisait le fameux article 68. La garde de la constitution républicaine était confiée aux citoyens : toute mesure par laquelle le président dissout l’Assemblée, la proroge ou met obstacle à l’exercice de son mandat est un crime de haute trahison. Par ce seul fait le président est déchu de ses fonctions, les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance, le pouvoir exécutif passe de plein droit à l’Assemblée“.

Dans l’après-midi, le tocsin ameute les populations qui se rassemblent sur les places des villages. La presque totalité des hommes est là, armés de fourches, de bâtons, de vieux fusils. Vers 17 h, une première troupe constituée à St-Lager-Bressac rejoint St-Vincent-de-Barrès et fusionne avec les hommes en armes du village.

La troupe prend la direction de St-Bauzile et arrive vers les 18 h 30 à Chomérac. Une foule considérable est réunie. Trois tambours sur la place se mettent à battre le rappel et une colonne de près de 500 hommes se met en ordre de marche. Le village d’Alissas est dépassé et l’on presse le pas vers la Plaine du Lac en contrebas de Privas. Il est environ 20 h 30. Ceux qui sont munis d’armes à feu reçoivent l’ordre de se disperser en tirailleurs dans les vignes qui dominent les rives de l’Ouvèze au-dessus du pont Louis XIII. Une avant-garde composée d’une quinzaine d’hommes est dépêchée en reconnaissance en direction de Privas. Une patrouille de 4 gendarmes arrive sur ces entrefaites au croisement des 3 chemins vers les 21 heures et aperçoit le petit peloton. Les gendarmes lancent une sommation. La réponse est immédiate mais se fait sous la forme d’une grêle de plombs.

            Le brigadier et deux gendarmes sont légèrement blessés. La brigade bat en retraite et retourne au grand galop vers la caserne de Privas pour chercher des renforts. Les voltigeurs du 12e régiment de ligne, commandés par le général Faivre (2), sont envoyés sur les lieux de l’affrontement. Au moment de traverser le pont qui enjambe l’Ouvèze (le pont des Chauchières, actuel pont Louis XIII), ils essuient une première fusillade à laquelle ils répliquent immédiatement. Les combats vont rapidement cesser en dépit de quelques échanges sporadiques de coups de fusil qui se font entendre jusque vers les une heure du matin. A 2 h du matin, les militaires en faction ne constatent plus aucun mouvement. En fait, les insurgés ont abandonné la place et sont retournés dans leurs foyers.

Les jours qui suivent la fin de l’insurrection seront marqués par des perquisitions policières et des arrestations massives. L’heure de la répression avait sonné.

 

(1) Article 48 de la constitution : avant d’entrer en fonction, le président de la république prête, au sein de l’Assemblée, le serment “En présence de Dieu et devant le peuple français représenté par l’Assemblée législative, je jure de rester fidèle à la République démocratique, une et indivisible et de remplir tous les devoirs que m’impose la Constitution“.

(2) Général commandant l’état de siège en Ardèche depuis le 12 septembre 1851

(Bulletin municipal de Saint-Lager-Bressac mai 2003)

Les poursuivis de St-Lager-Bressac à la suite du coup d’État de décembre 1851.

  • Louis Bérard, père

Lieu de naissance : Saint-Lager-Bressac – 62 ans – marié – 7 enfants.

Domicile : Saint-Lager-Bressac / Profession : propriétaire.

Décision de la commission mixte de l’Ardèche : Algérie plus.

Observations : a donné asile à une bande d’insurgés. A distribué des munitions de guerre. Très dangereux. Orateur.

Grâce accordée par le chef de l’Etat : remise le 12 février 1853.

  • Léon Bérard, fils

Lieu de naissance : Saint-Lager-Bressac – 25 ans – célibataire.

Domicile : Saint-Lager-Bressac / Profession : propriétaire.

Décision de la commission mixte de l’Ardèche : transporté en Algérie.

Observations : un des chefs du mouvement. Monté par son père. Très dangereux.

Grâces accordées par le chef de l’Etat : internement le 25 octobre 1854 – Surveillance le 16 août 1855.

  • Scipion Cheynet

Lieu de naissance : Saint-Lager-Bressac – 24 ans – célibataire.

Domicile : Saint-Lager-Bressac / Profession : cultivateur.

Décision de la commission mixte de l’Ardèche : Algérie plus.

Observations : insurgé blessé dans une rencontre. Socialiste ardent. Très dangereux.

Grâce accordée par les commissaires extraordinaires du gouvernement : surveillance le 23 avril 1852.

  • Joseph ou Jacques Fay

Lieu de naissance : Saint-Fortunat (Ardèche) – 53 ans – marié – 1 enfant.

Domicile : Saint-Lager-Bressac / Profession : propriétaire.

Décision de la commission mixte de l’Ardèche : transporté en Algérie.

Observations : a pris part au mouvement. Très dangereux. Mauvais antécédents privés et politiques.

Grâce accordée par le chef de l’Etat : remise le 23 mars 1853.

  • Daniel Merlin

Lieu de naissance : Saint-Lager-Bressac – 43 ans – marié.

Domicile : Saint-Lager-Bressac / Profession : propriétaire.

Antécédents : 22/1/1847, 6 jours de prison, rébellion envers un porteur de contraintes. 25/8/1848, 6 jours de prison, 25 frs d’amende, diffamation. 23/7/1850, un mois de prison, coups et blessures.

Décision de la commission mixte de l’Ardèche : Cayenne (embarqué le 29/5/1852).

Observations : chef du mouvement. A distribué des munitions. Très dangereux.

Grâce accordée par le chef de l’Etat : internement le 30 décembre 1854.

  • Jacques Puaux

Lieu de naissance : Saint-Lager-Bressac – 39 ans – marié – 2 enfants.

Domicile : Saint-Lager-Bressac / Profession : cultivateur.

Décision de la commission mixte de l’Ardèche : transporté en Algérie à Oued el Hamman, province de Oran.

Observations : chef des sociétés secrètes. Très dangereux. A pris part au mouvement.

Grâce accordée par le chef de l’Etat : surveillance le 11 novembre 1854.

  • Régis Puaux

Lieu de naissance : Saint-Lager-Bressac – 37 ans – marié – 6 enfants.

Domicile : Saint-Lager-Bressac / Profession : cultivateur.

Antécédents : 1837, un an de prison, vol.

Décision de la commission mixte de l’Ardèche : Cayenne (embarqué le 29/5/1852).

Observations : chef de société. Repris de justice. Dangereux.

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